Komorimpact, Journal de la Jeunesse Comorienne
Edition Mars 2010
Rubrique Femme
Portrait d’une géante de la pensée comorienne
Entre son pays et l’écriture, son cœur balance. C’est peut être la raison qui la pousse à nous faire partager sa passion pour ces deux univers.
Elle, c’est Coralie Frei, un nom qui ne dit peut être pas grand-chose en Shicomori (la langue parlée aux Comores) mais qui ne tarit pas d’éloges tant la Patrie fait partie de son bouclier.
Coralie Frei est l’auteure d’un ouvrage « La perle des Comores », récemment paru aux Éditions Manuscrit à Paris, qui a reçu les honneurs d’être nominé dans la liste des finalistes du 7ème Edition du Prix de Premier Roman en ligne, dans la catégorie Roman d’ici et d’ailleurs. La remise du Prix aura lieu le 22 mars à la Galerie passage de Retz, 9 Rue Chaillot Paris 3.
Elle est française et suisse, d’origine comorienne. Une origine qu’elle revendique à travers les mille couleurs qu’elle peint. Son ouvrage fera certainement date, tant il va marquer d’une pierre blanche le parcours de la Femme comorienne.
La Perles des Comores
Les travaux publiés dans ce livre portent sur les Comores. L’histoire se déroule à Anjouan, particulièrement à Ouani son village natal. À travers son vécu, elle présente au lecteur son enfance et son adolescence peuplées de tristesse, mais aussi son île et son pays avec ses coutumes et ses traditions qui font la saga de ce bout de terre de l’océan indien.
L’écriture de Coralie est d’une conscience prudente qui effleure les mots, épouse les nuances et pose sur le monde ce regard élevé de son pays. Son objectif est de tatouer sur le récif du monde la mémoire et l’identité d’une nation, d’un pays qui a longtemps souffert et qui continue à souffrir de l’oubli. Dans ses confidences, elle avoue son ambition de transgresser et de désobéir les stigmates, les clichés et les effigies qui ont si longtemps cadenassé et écorné l’image des îles. Son désarroi, elle ne le cache pas. « Je refuse que mon pays, Les Comores, soit « les îles oubliées », comme on peut le lire sur une grande affiche à l’aéroport de Dar-es-Salaam (Tanzanie) ».
Ceux qui liront La perle des Comores, croiseront sans doute le chemin du témoignage d’une jeune femme qui se réconcilie avec son destin. Mais aussi l’itinéraire d’une enfant des îles sensiblement attachée aux valeurs de son peuple et profondément ancrée dans sa tradition et ses cultures, même si elle les trouve parfois excessives.
La langue de l’autre
Coralie est parmi celles et ceux qui incarnent le mieux l’image de parcelle et de jointure entre nous et les autres. Elle transcrit et peint à sa manière ce petit point nommé Les Comores sur la carte du monde. Elle a cette façon à elle de peindre, de colorer, de portraiturer le quotidien de son pays en le mettant à la portée de l’autre, celui qui ne sait pas, qui ne connaît pas et qui n’a jamais entendu parler de l’archipel.
Son magnétisme, sa puissance, c’est surtout de s’inviter à une langue étrangère qu’elle s’approprie et en fait sienne. L’allemand, elle l’apprivoise car c’est un instrument bon à domestiquer, mais aussi un moyen intelligent d’une pensée entièrement dédiée aux étrangers. Elle est l’invitée de cette langue en même temps qu’elle nous y convie.
Le français n’est pas non plus sa langue natale. Elle porte dessus le regard d’une étrangère de passage, pourtant elle entre de plein pied dans cette langue d’hôte comme si c’était un héritage. Elle se plaira à le dire plus tard, « Sur mon ardoise j’écrivais à l’aide d’un pic d’oursin, quelquefois avec les chutes de craie blanche que je récupérais à l’école quand j’étais de corvée, des petits poèmes, des petits textes romantiques que j’effaçais aussitôt après pour les soustraire à l’indiscrétion de mon père …».
Dans le reste de sa vie, l’écriture lui a imprimé ce sentiment curieux d’aller vers l’autre, de le découvrir avec sa culture pour enfin pouvoir se découvrir soi-même. C’est peut être sa manière à elle de nous apprendre que la meilleure façon de comprendre le monde des choses, c’est de commencer par comprendre le monde des mots.
Son parcours, un pont entre plusieurs rives
La vie de Coralie est un récit. Une histoire où l’aventure tient lieu d’intrigue et le personnage principal, le sien, le rôle d’une héroïne au grand périple. Coralie est une aventurière qui, au travers d’une carrière dure et mouvementée, se paie le luxe de se raconter exactement comme elle est. Telle est d’ailleurs cette mosaïque de « L’Inconnue de l’Océan ».
Dans sa quête du bonheur absolu, elle a rencontré le pire comme son enfance volée, avec la fuite de sa mère et le comportement bizarroïde de son père qu’elle qualifie de despote. Mais elle a aussi rencontré le meilleur avec cette vie paisible qu’elle mène à Oberegg en Suisse, sans jamais chercher à se fourvoyer. Celle qui a grandi sans livre et qui écrivait sur une page arrachée de son cahier de récitation et de chant, deviendra cette romancière et cette poétesse de l’altérité intellectuelle, capable de résoudre les mystères du monde réel avec l’unique arme qui prévaut : « les mots ».
Le parcours de Coralie n’a rien d’extraordinaire. Après le Bac qu’elle considérait comme son passeport, elle est partie en France pour poursuivre les études. Elle sortira avec un diplôme de Littérature et langues appliquées à l’Université de Toulouse et d’un Diplôme d’État Infirmier à l’école d’Infirmières à l’île de La Réunion et en France.
Ses œuvres et ses projets
L’agenda de Coralie est rempli de pleines ambitions. Avant même la sortie de La perle des Comores, qui au départ était L’Inconnue de l’Océan, elle avait déjà sorti en 2001 et 2002, en allemand et en français, le CD « Coralie » composé d’une quinzaine de poèmes et des musiques originales. En 2003, elle a réalisé «Das Tagebuch der Maya ». Un conte près de la réalité en allemand, qu’elle nous offrira dans une version française sous le titre de « Le Journal de Maya ». Biographie du chat raconté par le chat. En 2008, elle a aussi édité un roman en allemand, « Weit wie der Océan ».
Mais le plus impressionnant, c’est surtout ses projets à venir. D’abord, la suite de La perle des Comores, son livre autobiographique, où elle va nous raconter la suite de l’histoire de Catidja, la fille des îles, qui a pu échapper à la marrée basse et aux tourbillons imposés par les coutumes de ses aïeux, pour se retrouver face à face avec son destin. Cette suite promet d’être ahurissante avec autant de mystères, d’intrigues et d’interrogations qui s’agglutinent. Qu’advient-il d’elle ? Trouvera-t-elle enfin la paix dont elle a tant rêvée ?
Le deuxième projet est un roman sur Le Anda, le grand mariage sur l’île de la Grande Comore. Elle s’interroge si dans le songe de la vie, il y aura une chance pour que Le Anda rime avec l’Amour.
Elle envisage aussi de rédiger un manuel sur l’apprentissage de la langue comorienne.
Il faut dire qu’à travers la plume de cette ambassadrice sans accréditation, le pays a de beaux jours devant lui.
Youssouf Mdahoma, Comorimpact